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« Monde d’après » : l’alimentation au cœur des préoccupations

La crise sanitaire du coronavirus nous a montré à bien des égards la grande fragilité du système alimentaire français et à quel point il était faillible. Pour la première fois depuis la seconde Guerre-Mondiale, le scénario catastrophe de la pénurie alimentaire a été et reste sérieusement envisagé par de nombreux concitoyens. Ces deux mois inouïs nous ont invité à repenser « le monde d’après », dans un esprit de profonde remise en question d’un système qui depuis une décennie battait de l’aile, notamment en ce qui concerne les préoccupations alimentaires.

Plus que jamais ces dernières années, l’alimentation s’est imposée comme un sujet d’intérêt majeur des francais.es, qui aspirent globalement à un système plus humaniste et à une véritable justice alimentaire. La crise sanitaire que nous traversons doit entraîner les engrenages d’une politique de transition agroalimentaire ambitieuse. 

En 2017, Emmanuel Macron prenait l’initiative de convoquer des « Etats généraux de l’alimentation ». Ce premier pas avait eu pour objectif de réunir les acteurs de la filière agroalimentaire, du producteur aux consommateurs en passant par les distributeurs, afin de réfléchir et penser ensemble à des solutions pour garantir à chacun une alimentation de qualité. Les critères qu’il faut prendre en compte sont multiples, il s’agit néanmoins d’offrir en priorité des produits sains aux consommateurs, en termes d’apport nutritionnel, gustatif (nous sommes le pays de la Gastronomie !), sanitaires et environnementaux. De plus, il est important de tenir compte de l’impact social et économique des nouvelles façons de produire et de consommer qu’il nous reste à inventer. Enfin, tout l’enjeu des mesures qu’il faut imaginer se trouve dans les réponses aux questions de l’accessibilité à une alimentation de qualité, pour tous, citadins comme ruraux, foyers aisés comme défavorisés. Aujourd’hui, nous savons en effet développer de véritables alternatives à ces problématiques. Celle-ci restent cependant minoritaires, inaccessibles voire élitistes.

L’alimentation est un terrain particulièrement sujet au développement des inégalités de classes, exposant les plus précaires au risque alimentaire, important facteur de comorbidité. Il est aujourd’hui plus que nécessaire d’inscrire dans la constitution la notion de « justice alimentaire ». Chacun devrait avoir le droit et les moyens de d’accéder à une alimentation de qualité. Il faut changer la perception des produits alimentaires, ne plus les voir comme de vulgaires marchandises mondialisées la plupart du temps, mais comme des produits de première nécessité, indispensables au vivant. Il ne suffit plus seulement d’indiquer la provenance, la liste des ingrédients transformés ou un grossier nutriscore pour montrer que l’on agit dans l’intérêt du consommateur, il faut repenser toute la chaîne de production et d’acheminement jusqu’à ce dernier. Plus que tout, il faut pouvoir agir à la fois dans l’intérêt des consommateurs et celui des acteurs de la filière agroalimentaire, résoudre l’équation qualité-coût qui garantira la satisfaction de chacun à son échelle.

Il ne suffit plus de rassurer les agriculteurs, à l’origine de la filière, il faut les encourager, les épauler pour enfin cesser de vivre avec l’héritage gaulliste à l’origine d’une agriculture de masse (Loi Pisani 1963), nuisible tant pour nos campagnes que pour nos paysans, qui n’ont d’autres choix que celui de grossir, ou mourir, surendetté, à bout de force ou intoxiqués par des épandages sans fin. Il est temps de réconcilier agriculteurs et consommateurs : souvent accuser d’empoisonner les sols et les français, les producteurs en contrat avec la grande distribution sont souvent les victimes d’un vicieux rapport de force, au détriment des consommateurs. Aujourd’hui, un agriculteur sur trois ne parvient pas à se dégager un revenu de plus de 450€ mensuel. Les paysans sont condamnés à s’endetter pour se lancer dans l’intensif et espérer survivre. Passer à une petite exploitation bio représente encore un pari trop risqué voire insurmontable. C’est pourtant l’avenir de la production agricole, qui doit revenir à un modèle de sobriété, de proximité et respectueux de l’environnement. Réconcilier agriculteurs et consommateurs consiste surtout à réconcilier les territoires, les villes et les campagnes. Le sociologue Nicolas Renahy met d’ailleurs en lumière comment le phénomène de métropolisation laisse peu de place à une perception fine de la spécificité et des besoins des habitants de ce qu’on appelle vaguement « la campagne ». Autrement dit, il est difficile de donner un visage lisible à la ruralité, souvent caricaturée de « France à la Pernault ». Bref, il faut sauver le monde agricole en soutenant le désendettement massif et en responsabilisant les citoyens consommateurs.

Aujourd’hui, les Français.es doivent devenir des consommateurs responsables, du moins les politiques menées tant à l’échelle locale que nationale doivent aller en ce sens. Pour cette raison, il est urgent de rétablir un lien de confiance entre la filière agroalimentaire et nos assiettes : humaniser la production en favorisant la multiplication des petites exploitations de proximité, développer les jardins collectifs dans les villes, enseigner le jardinage à l’école, réviser l’approvisionnement des cantines scolaires qui sont le terrain de jeu des industriels spécialistes des produits ultra-transformés aux apports nutritifs quasi nuls et des fruits importés du monde entier, exceptés ceux de la ferme de proximité. La nourriture ne doit plus être une marchandise massivement mondialisée. Le vivant ne doit plus être approprié par les géants de l’agrochimie. Cela passe par des politiques favorisant le circuit-court, l’achat de paniers-légumes par le biais des comités d’entreprises etc …

Le grand défi du « monde d’après », c’est celui de l’alimentation dont les citoyens consommateurs et producteurs doivent reprendre le contrôle. Cela passe évidemment par le nécessaire « indépendance agricole » évoquée très justement par Emmanuel Macron dans son allocution du 13 avril dernier : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. » Notre alimentation doit être au cœur d’une politique de développement durable de grande envergure, amorçant un nouveau dynamisme de nos territoires qui vont être impactés par la crise économique qui s’annonce d’une grande violence. Il faut agir, et vite.

Pierre L.