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Féminisme vandale

La réappropriation de l’espace urbain au service des luttes antisexistes

Depuis plusieurs mois fleurissent sur les murs de la métropole lilloise divers messages féministes et antisexistes. Ces actions traduisent deux volontés : tout d’abord, la réappropriation de l’espace urbain par les femmes, en réaction au harcèlement de rue. Ensuite, la volonté de rendre visibles les femmes victimes de violences, voire de leur venir en aide par le biais de la rue, un espace partagé et investi aussi bien par tous les genres.

La volonté de réappropriation de l’espace urbain est visible autant dans la démarche utilisée (graffer ou coller dans l’espace urbain est en soi une réappropriation) que dans les messages apposés. En effet, dans les messages que nous avons attribués à la mystérieuse “Brigade du Respect” (dont nous n’avons malheureusement pas trouvé les personnes responsables), la démarche est la suivante : déclarer aux femmes qu’elles ont le droit d’utiliser cet espace commun qu’est la rue, tout en signalant aux hommes que leurs comportements ne sont pas anodins, et qu’ils en sont responsables. Ces messages sont graffés directement sur le trottoir, au pochoir, dans les rues de Lille qui accueillent bars, étudiants et vie de nuit.

Plus récemment, nous avons pu observer l’émergence de messages dont les lettres, collées une par une et utilisant chacune une feuille A4, sont caractéristiques. On peut aisément reconnaître la référence au socialisme libertaire, une branche de l’anarchie qui lutte pour la liberté et l’égalité. Donc impliqué dans le combat de minorités avec le goût de la révolte. Ces messages choisissent un axe plus difficile, puisqu’ils dénoncent les violences faites au femmes, en précisant régulièrement un numéro d’urgence à utiliser en cas de danger : 3919. Cependant, ces messages ne s’attaquent pas uniquement aux violences conjugales, mais élargissent leur angle d’action en dénonçant également les violences (physiques et morales) envers la communauté transgenre (et, plus largement, LGBTQI+), ou évoquent des problématiques liées au revenge porn. Très ancrés dans l’actualité, ces messages trouvent leur puissance dans leur aspect succinct et sont présents dans différents recoins de la métropole lilloise.

Si l’on s’éloigne de Lille, on s’aperçoit également que l’appropriation de la rue par les mots n’est pas exclusivement nordiste, ni même féministe. Les réseaux sociaux permettent notamment à des comptes recenseurs tels que @larueourien (https://www.facebook.com/larueourien/), qui publient régulièrement les poésies, jeux de mots et messages laissés dans la rue. Les approches sont multiples lorsqu’il s’agit d’attirer l’attention via cette branche street du féminisme. Miss Tic (www.missticinparis.com) par exemple est une artiste plasticienne qui pose également des pochoirs éloquents teintés de sarcasmes et d’humour noir. Permettant d’aborder la révolte, revendique la liberté et le désarroi des femmes. 

Pour en revenir aux énoncés vandales présentés antérieurement, de nombreux comptes instagram revendiqués féministes relaient ces collages et graffitis. La plateforme connaît un nombre d’utilisateur.rice.s  plus jeunes et davantage enclins à être sensibilisé.e.s à ce groupe de causes convergentes. Le féminisme ayant comme objectif l’égalité des sexes. Il n’est en aucun cas une lutte exclusivement réservée aux femmes. Masculins, féminins, non binaires, le féminisme par idéologie n’exclut pas, mais au contraire invite à la réflexion collective. Dans le but d’exprimer cela et de contextualiser ces collages et graffitis, @collages_feminicides_paris, @noustoutesorg, @labrigadedurespect sont quelques exemples. En plus de contextualiser donc les messages exprimer dans la rue, ce sont des lieux de rassemblement qui cumulent différents médias et permettent de développer des discours plus fournis, dans une logique de visibilité et d’ancrage dans le quotidien aussi bien sur les réseaux sociaux que dans la rue. Contrairement à la rue et certainement pour compléter l’action de celle ci les réseaux permettent la sensibilisation via les différentes modalités de partages de contenus et permet également de rassembler un nombre illimité d’individus. La création d’une communauté permet de nourrir le mouvement d’échanges en plus d’être potentiellement relayé par les membres. Cette logique d’associer l’impact visuel dans la rue et sur les réseaux sociaux (même si instagram semble privilégié) permet une continuité sinon une complémentarité permettant une communication la plus efficace possible. 

Si se réapproprier l’espace public est le fruit de l’intentionnalité communicationnelle du mouvement, la dimension vandale a également sa part de connotations, dont la liste suivante est non exhaustive : contre le pouvoir, dans l’opposition, la rébellion, l’affirmation de soi et l’appartenance à un collectif. De plus on peut remarquer deux stratégies distinctes en prenant Lille comme ville de référence. D’un côté les collages de feuilles A4 flanquées de colle à poisson sont un grand format pratique à transporter et relativement rapides à coller. De plus le collage est davantage toléré car éphémère il disparaît de lui même suivant les intempéries ou est facilement décollable sans endommager son support, souvent mural et lisse. A l’inverse les nombreux tags faits au pochoir (réutilisable selon la qualité du support dans lequel il est découpé) peuvent être reproduits en utilisant plusieurs fois les même matériaux, ce qui explique la répétition de messages identiques. La bombe aérosol permet d’appliquer rapidement sur de nombreux types de supports une peinture tenace. Les trottoirs sont parfois plus appropriés pour limiter les conflits judiciaires. De plus il est aperçu tout au long de la journée par les passant.e.s qui fixent le sol en marchant. Des lieux stratégiques comme les marquages au sol des passages pour piétons sont régulièrement sélectionnés.

La démarche est louable et a hélas excessivement raison d’être. Cependant à titre purement subjectif, quelques interrogations au sujets des différents réceptions persistent. Ces messages ne font ils pas principalement écho aux personnes déjà sensibilisées ? Évidemment que les phrases chocs comme le comptages de viols ou de féminicides ne laissent pas de marbre en semblent nécessaires pour faire réagir l’ensemble de la population. Mais des messages peut être trop rares comme “girl la rue t’appartient” qui poussent chacun à s’affirmer sans passer par l’outil de la colère serait probablement moins victimisant. Enfin l’objectif et de parvenir à balayer les différences faites à l’aune des genres pour plus d’égalité, ce qui offre bien moins d’emprise et de pouvoir entre les mains des agresseurs dominants. De façon plus générale au sujet des agressions, la peur et de la honte ne doivent plus être du côté de la victime.