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Tuto : si l’on commençait par parler de ce que l’on connaît ?

Voilà un chapitre qui se termine. Ces 3 années en licence ICAS ont modifié ma perception du monde comme jamais auparavant. J’ai atterri dans cette licence par pur hasard, et ai pris goût aux enseignements proposés. Plusieurs UE comportaient une enquête ethnographique afin d’avoir une démarche sociologique, à compléter avec des approches théoriques. Et s’il y a bien une chose que j’ai compris, c’est qu’il faut être conscient.e de la place qu’on occupe en tant qu’étudiant.e, de ce qu’on représente face aux autres. Les savoirs situés sont certainement une des notions les plus essentielles que nous avons abordé dans cette formation universitaire, c’est pourquoi les propos ci-dessous n’engagent que mon expérience des mouvements de grève de 2019-2020, ainsi de ce que j’ai pu entendre de personnes qui sont régulièrement mobilisées depuis plusieurs années, voire décennies.

J’ai malheureusement pu constaté que beaucoup d’étudiant.es parlent de ce qu’iels ne connaissent pas. Nous pensons savoir car nous lisons la presse, visionnons les médias alternatifs, sommes conscient.es des inégalités de race, de classe et de genre à travers nos travaux universitaires, mais la réalité est que nous passons à côté d’informations essentielles, qui pourtant permettent de percevoir les phénomènes sociopolitiques à travers d’autres prismes. Nous devons être conscient.es que ces erreurs de lecture affectent et blessent certains groupes sociaux, en particulier ceux qui sont régulièrement discrédités par les médias traditionnels. En tant qu’étudiant.es ICAS, faisons attention à ce que nous véhiculons, admettons que nous ne maîtrisons pas un sujet lorsque ce n’est pas le cas, mais évitons de parler de ce que nous ne connaissons pas. Soyons modestes et évitons d’écrire des bêtises sur Internet, où tout est libre d’accès et où tout se conserve.

Les grèves. Nous entendons tout et son contraire. Bien souvent, nous en parlons alors que nous n’avons jamais manifesté, que nous n’avons jamais parlé à des manifestant.es, et que nous n’avons pas été confronté.es à nos idées reçues erronées par des personnes qui vivent (et souffrent) autrement que nous. Nous nous permettons de publier sur Internet des opinions qui sont fausses, ce qui blessent les personnes concernées, qui bien souvent tiennent en défiance les médias pour ces mensonges éhontés. Voici pourquoi je voulais démonter quelques stéréotypes sur les manifestations contre la réforme des retraites, contre la LPPR et contre la précarité, que j’ai pu lire sur ce MOOC de grève :

  • Cette grève est globale : il est rare que les mobilisé.es ne le soient que pour une seule cause. Il est donc faux de penser que ces mouvements de protestation concernent en premier lieu les enseignant.es, quand ces dernier.ères. mettent en avant que les précurseurs étaient les cheminots, et en général l’ensemble de la fonction publique. Si les grèves ont pris forme un peu plus tard dans le monde universitaire, c’est pour que nous, étudiant.es, puissions passer nos examens des semestres impairs dans les meilleures conditions possibles. 
  • Cette grève concerne aussi bon nombre de nos camarades qui sont en situation de précarité, mais aussi les gens qui travaillent dans le privé et qui n’ont pas les mêmes opportunités pour montrer leur mécontentement. Soyons solidaires ou ne prétendons pas l’être. 
  • Les personnes mobilisées ont le droit d’être en colère et ont le droit de ruminer. Le système dans lequel nous vivons broie nos parents, nos ami.es, nos voisin.es, nos enseignant.es, nos artisan.es préféré.es. La colère est un sentiment tout à fait naturel, qui ne fait que répondre à la violence à laquelle font face des millions de personnes vivant en France. 
  • Non, la grève n’est pas déprimante, en tout cas pas pour celleux qui la comprennent. Ces dernier.ères devraient être celleux qui en parlent, celleux qui donnent des conseils sur ça. N’oublions pas que parler de ce que nous ne connaissons pas, est susceptible de ne pas être partagé par celleux qui vivent cette grève. Ne leur infligeons pas un double coup de massue en jugeant leurs colères et en qualifiant leurs mobilisations de déprimante quand elles sont au contraire des espaces-temps de convivialité, d’entraide et d’espoir.
  • Ne pas rendre de travaux universitaires (coronavirus ou pas), et plus généralement ne pas travailler, ne signifie pas temps libre pour autant. Il est en effet compliqué de s’adonner à des activités ludiques quand nos conditions de vie sont bancales, difficiles, voire insupportables, et qu’il ne faut pas tomber dans l’injonction de “je ne travaille pas, je peux/dois m’amuser”. Bien souvent, nous n’avons pas coeur à nous amuser, ou alors nous travaillons encore, mais différemment, même si cela ne consiste qu’à faire le point sur sa propre situation ou à prendre soin de sa santé mentale. La santé et le moral avant tout.
  • Une nouvelle fois encore, ne pas rendre de travaux universitaires ne signifie pas être mécontent. C’est un choix qui nous est proposé, et les raisons pour lesquelles nous acceptons un 16 plancher ou pas, avec une copie blanche ou pas, sont propres à chacun.e. Cessons de généraliser, bien souvent les personnes qui ne font pas partie de notre cercle le plus proche pensent différemment de nous, ce qui ne signifie pas que nous devons ignorer leurs opinions, et sur le MOOC, les invisibiliser.

Je ne sais pas si le message est passé pour celleux qui liront ce pavé, mais en tout cas il est passé pour moi-même, qui, quelques années auparavant, partageais quelques-uns de ces clichés. Restons curieux.ses et ouvert.es d’esprit si tel est notre souhait, mais ne prétendons pas tout savoir et prendre le risque de blesser quelqu’un avec des mots mal choisis. Et ne nous disons pas compréhensif.ves, militant.es ou solidaires si c’est pour juger à tout va.