Au cours des derniers mois, la France a été traversé par plusieurs mobilisations sociales d’ampleur significative, qu’elle soit lancée à l’initiative de «gilets jaunes», de jeunes sensibles aux enjeux écologiques, ou bien de toutes sortes d’individus inquiets pour leur retraite. Face à cela, couvrant en grande partie l’actualité, les chaînes de télévision ont tenté tant bien que mal de témoigner de ces signes de protestation. Mais quel regard peut-on porter sur la couverture médiatique dont ces mobilisations ont bénéficié ? Que nous apprend le traitement médiatique réalisé par certaines chaînes de télévision ? Intéressons-nous ici plus spécifiquement aux manifestants et manifestantes plus chaud(e)s que le climat, mais qui ne l’étaient visiblement pas suffisamment pour chauffer les médias.
Agir maintenant pour éviter un désastre climatique très bientôt
Tout part d’une jeune fille suédoise de quinze ans. En 2018, après une énième canicule et des feux de forêts importants cet été-là en Suède, Greta Thunberg, qui rentre alors en neuvième année (équivalant à la classe de troisième en France), décide de ne pas aller à l’école jusqu’aux élections législatives se tenant quelques jours plus tard. Au lieu de cela, pendant les heures où elle est censée avoir cours, elle décide de protester en allant s’asseoir devant le riksdag (nom du parlement suédois) avec sa pancarte appelant à une «skolstrejk för klimatet», en clair une «grève scolaire pour le climat». Sa revendication est simple : que le gouvernement suédois fasse ce qu’il faut pour réduire les émissions de carbone du pays, conformément à l’accord de Paris que le pays s’est engagé à respecter trois ans plus tôt. Après l’élection, elle ne lâche pas l’affaire et décide de continuer de manifester chaque vendredi devant le parlement suédois. Elle encourage aussi les jeunes, via les réseaux sociaux, à en faire de même chez eux. Rapidement, cette initiative est relayée sur les réseaux sociaux et dans la presse locale, puis celle nationale et internationale. En quelques mois, Greta Thunberg parvient à mobiliser des milliers de jeunes étudiants dans plusieurs dizaines de pays dans le monde.
En France, l’intérêt des chaînes de télévision à l’égard de ce mouvement semble être relativement proportionnel à la participation limitée des étudiants français par rapport à celle d’étudiants issus d’autres pays. Pour comparer les différentes couvertures médiatiques proposées en France de ce mouvement, nous nous sommes limités aux journaux et talk-show d’actualité diffusés les journées de mobilisation. En revanche, au vue de la limitation à quelques jours du replay de certaines chaînes, cette comparaison n’a pu se faire qu’entre France 2 (JT de 20h, environ 40 minutes, groupe public France Télévisions), France 3 (JT national «19/20», environ 25 minutes, groupe public France Télévisions), TMC (talk-show «Quotidien», environ 1h30, groupe privée TF1) et BFM Paris (flash info «Paris express», environ 15 minutes, groupe privée Altice).
15 mars 2019 : une première grève scolaire mondiale attendue et réussie, qui a, de fait, intriguée la télé française
Alors que ce premier appel à la mobilisation internationale des jeunes pour le climat avait valeur de test et était, par conséquent, assez scruté afin de se rendre compte de l’ampleur du sursaut écologique initié auprès et par la jeune génération, il semble avoir tenu ses promesses. S’il semble bien difficile d’avoir une estimation précise du nombre de participants, notons que le site du mouvement a comptabilisé des rassemblements dans plus de 2400 villes de 137 pays, soit entre 1,8 million (selon les chiffres du «Monde» et du «Parisien») et 2,2 millions de personnes (d’après le site du mouvement), un large succès donc. En France, d’après «Youth For climate France» (la branche française d’une ONG créée pour l’occasion et qui organise la plupart des grèves scolaires pour le climat dans le pays), cette manifestation a mobilisé environ 200 000 personnes dans plus de 220 villes de l’hexagone, dont environ 40 000 à Paris.
Face à cela, les chaînes de télévision sont plutôt au rendez-vous. Quelque peu éclipsée par un attentat au lourd bilan en Nouvelle-Zélande, la grève scolaire mondiale pour le climat arrive quand même bien souvent à la deuxième place des titres des programmes retenus. Néanmoins, si le temps qu’ils ont consacré au traitement de cette première mobilisation internationale semble relativement faible au regard de la durée totale de ces programmes, notons que cette première mobilisation internationale est celle qui a été la plus largement traitée dans la quasi-totalité des programmes observés. Au regard de la participation nettement plus faible des étudiants français aux journées de grève suivantes, ceci peut expliquer cela.
Mais ce qui interpelle en premier lieu semble être l’approche préconisée pour traiter cette actualité. En effet, si nous aurions pu imaginer que l’urgence climatique et une large mobilisation des jeunes puissent susciter un certain nombre d’interrogations, qui auraient pu déboucher sur de nombreuses idées de sujets de débats, de personnes à interviewer ou d’angles originaux de reportages pour approfondir le sujet, cela n’a pas été le cas. Au lieu de cela, la plupart des chaînes de télévision observées se sont contentées de relater simplement deux faits : l’ampleur de la mobilisation, en donnant quelques estimations du nombre de participants dans plusieurs villes françaises et en montrant des images de la foule de manifestants dans des grandes villes d’autres pays ; et la créativité des manifestants, en insistant sur l’originalité des slogans affichés sur leurs pancartes.
Pas mieux pour le récit fait des débats organisés cette après-midi-là dans un certain nombre d’écoles, à la demande du ministère de l’éducation nationale au vue des prévisions de forte mobilisation des jeunes qu’il avait reçu. Ces débats n’ont généralement été qu’évoqué à travers une brève image d’un débat organisé dans une école, parfois accompagné de quelques mots tellement rapides d’un professeur ou d’un élève qu’ils n’apportent pas grand-chose à l’analyse de cette initiative gouvernementale, qui aurait pourtant mérité d’être plus longuement et profondément couverte.
En fin de compte, seul «Quotidien» sur TMC en a profité pour consacrer une large page de l’émission du jour à l’écologie, sachant que, quelques jours plus tôt, le talk-show avait reçu et interviewé Greta Thunberg et plusieurs autres représentants du mouvement «Fridays for future». Et encore, sur le fond, nous pouvons être amené à penser que le traitement réalisé par «Quotidien» n’a pas été moins léger, voire superficiel, que celui proposé par d’autres chaînes lorsque l’on remarque que, lors de leur reportage faisant le récit de la journée de mobilisation, la seule question que le journaliste pose à de jeunes manifestants est de connaître le cours qu’iels ont raté pour manifester.
24 mai 2019 : une fois l’effet de curiosité passé, l’intérêt de la télé française est vite retombé
Deux mois après le succès de la première grève scolaire mondiale pour le climat, Greta Thunberg et les associations écologistes avaient remis ça. Si cette seconde mobilisation internationale a mobilisé des personnes dans une proportion identique de pays dans le monde, et pratiquement dans autant de villes (environ 2000 villes, soit 400 villes en moins par rapport à la première mobilisation), elle a bien moins rassemblé de manifestants (le site du mouvement ne comptabilise «que» 750 000 personnes, tandis que le journal «Le Monde» estime qu’ils étaient plus d’un million), en particulier en France, où iels étaient plus de 65 000 personnes dans l’hexagone (contre 200 000 lors de la première mobilisation) dans 80 villes (à peu près 150 villes en moins), dont environ 15 000 à Paris (contre 40 000 la fois précédente).
Encore une fois, la grève scolaire pour le climat s’est retrouvée quelque peu éclipsée par l’actualité du jour, entre la démission de la première ministre britannique Theresa May en pleine impasse du Brexit, le dernier jour de campagne pour les élections européennes et l’explosion d’un colis piégé à Lyon. Toutefois, il semble trop simple de reporter systématiquement la faute sur une actualité chargée pour justifier la faible couverture médiatique dont a bénéficié le mouvement. De toute évidence, le sujet était si peu pris au sérieux que la moindre actualité pouvait la reléguer d’un échelon en terme de priorité.
Une fois de plus, au-delà du temps qui est consacré à cette actualité, il est intéressant de constater le traitement qui en est fait. En l’occurrence, en vingt secondes dans le JT de 20h de France 2 ou trente-cinq secondes dans le flash info de la chaîne d’infos en continu de la capitale BFM Paris, difficile de pouvoir s’étendre sur le sujet. BFM Paris s’est, d’ailleurs, uniquement contentée de donner le trajet de la manifestation afin d’éviter les bouchons pour les automobilistes, sans donner davantage d’informations. Sinon, ailleurs, quelques images de manifestations dans le monde sont montrées, le ou la journaliste donne le nombre de manifestants de la grève parisienne, puis rappelle simplement que les manifestants demandent au gouvernement d’agir en matière de transition écologique, et c’est tout. A la suite de cela, TF1 diffuse un reportage sur des suédois de plus en plus sensibilisés aux risques environnementaux et qui sont donc de moins en moins enclins à prendre l’avion ; de son côté, France 2 enchaîne avec un reportage soulignant le rôle important joué par les abeilles, de plus en plus menacées. De toute évidence, il semble y avoir un effort pour parler davantage d’écologie, mais cela reste timide. Pendant ce temps-là, au JT de France 3, le même reportage que pour la précédente manifestation aurait pu être ressorti que nous y aurions vu que du feu. La seule chose qui nous rassure que ce n’est pas le cas est le rapide témoignage d’un jeune manifestant qui exprime sa volonté que l’écologie puisse peser dans les résultats des élections européennes. En dehors de cela, les mêmes éléments sont montrés et retenus de la mobilisation.
20 septembre 2019 : un regain de mobilisation synonyme de regain d’intérêt de la télé française
Si la tenue de la précédente grève pour le climat à une échéance trop proche de différents examens avait probablement découragé de nombreux jeunes de venir manifester, les choses étaient tout autres lors de la troisième mobilisation internationale. Entre temps, les grandes vacances sont passées et ont ressourcé et remobilisé les troupes. De plus, les associations écologistes ont légèrement adapté leur stratégie, en sollicitant davantage les parents, et tout adulte de manière générale, à se joindre à la mobilisation, de manière à continuer de rassembler toujours plus de monde autour de l’écologie plutôt que de laisser la mobilisation stagner et le mouvement s’essouffler en restant un mouvement initié par des jeunes et qui parle aux jeunes. Résultat : le quotidien anglais «The Guardian» a estimé à environ 6 millions le nombre de personnes dans le monde ayant participé à la semaine d’actions et de manifestations qui précédait la troisième grève internationale. Pour ce qui est de la grève en question, le chiffre d’1,8 à 2,2 millions de manifestants lors de la première grève mondiale semble avoir été battu, une estimation de la participation toujours à prendre avec des pincettes. En France, «Youth for climate France» avance en tout cas des chiffres en baisse pour la troisième fois consécutive, avec environ 55 000 personnes mobilisées dans l’hexagone (contre 65 000 lors de la deuxième mobilisation) dans pratiquement 70 villes (une dizaine en moins), dont environ 9 500 à Paris (contre 15 000 la fois précédente).
Au vue de la mobilisation record en faveur de la préservation de l’environnement, la logique aurait voulu que les chaînes de télévision consacrent une part importante de leur temps d’antenne dédié à l’actualité au traitement de celle-ci, et plus largement de cette thématique. Cette part a certes connu un rebond chez les programmes retenus, France 3 y consacrant pratiquement autant de temps que lors de la première mobilisation internationale, tandis que France 2 en a parlé légèrement plus. Le sujet était aussi de nouveau le deuxième titre annoncé lors du sommaire dans les deux journaux. Cette fois, les deux chaînes publiques ont sensiblement proposé le même reportage, variant de celui proposé lors des précédentes mobilisations puisqu’ici axé sur trois brefs portraits (le premier d’une adolescente en classe de seconde ; le deuxième d’une femme quinquagénaire ; et le troisième d’une mère de famille venue avec sa famille), de façon à souligner le fait que la grève rassemble des personnes aux profils variés et plus seulement des étudiants. Toutefois, en dehors de cela, le sujet resté abordé de manière rapide et légère, se contentant encore ici de quelques images des manifestations dans le monde ainsi que du nombre de participants dans le cortège parisien.
Ce constat rappelle un parti-pris assumé par les principaux JT français, qui s’étendrait probablement très facilement à la majeure partie des chaînes d’informations en continu, et qui joue ici en défaveur de cette actualité : la priorité est accordée à l’actualité nationale, souvent au détriment de celle européenne et internationale. Ainsi, étant donné que «Fridays for future» est un mouvement qui a été lancé en Suède et à destination des jeunes du monde entier, cette actualité est déconnectée de celle française, d’autant plus au vue de la mobilisation plus faible en France comparé à celle dans d’autres pays. Si les ressources nécessaires n’avaient pas manqué, il aurait alors été intéressant de comparer ces résultats à ceux du JT d’Arte, clairement plus orientée vers l’actualité européenne et franco-allemande.
29 novembre 2019 : une autre manière de protester en France qui, tantôt éclipse la mobilisation, tantôt intéresse de nouveau la télé française aux revendications du mouvement
Deux mois après la précédente grève pour le climat, une cinquième mobilisation internationale a été organisée. Comme à l’accoutumée, la date n’avait pas été choisie par hasard : la deuxième fois, la grève s’était tenue avant les élections européennes et la troisième fois, avant un sommet de l’ONU sur le climat ; cette fois, la mobilisation avait lieu juste avant la COP25 en Espagne ainsi que le «black friday», large journée de soldes dans les commerces, dénoncée par un certain nombre de personnes comme faisant la promotion d’un modèle de surconsommation destructeur pour l’environnement. A cette occasion, dans de multiples pays, comme la France, la mobilisation a pris une autre tournure que les marches habituelles : celle de blocages de sièges d’entreprises, d’entrepôts (en particulier ceux du site de vente en ligne «Amazon») et de centres commerciaux. Pour cette raison, il est d’autant plus délicat ici d’avancer un quelconque chiffre de participation, que ce soit en France ou dans le monde.
Toujours est-il que ces blocages n’ont pas manqué d’attirer l’attention des médias, bien que ceux-ci n’aient pas entraîné la même couverture médiatique selon les chaînes. En effet, sur certaines d’entre elles, comme France 2, le «black friday» a été traité comme un «marronnier», c’est-à-dire un sujet qui revient chaque année, avec un reportage évoquant l’avis partagé d’entreprises face à cette opération commerciale et un autre évoquant les arnaques aux fausses ristournes dont font l’objet certains consommateurs. Pour obtenir un traitement plus consistant et conséquent de la protestation plus forte constatée en 2019 contre le «black friday», il fallait regarder le JT de l’autre chaîne du service public. Avant toute chose, ce sujet était le premier des titres du 19/20 de France 3, alors qu’il était loin derrière dans le 20h de France 2, sachant que l’actualité n’était pas particulièrement forte ce jour-là (avant de parler «black friday», France 2 avait fait état d’une attaque au couteau à Londres, des préparatifs de la grève nationale du 5 décembre, de l’émotion des collègues des soldats français tués en opération, ou encore de l’annonce du procès des commanditaires des attentats du 13 novembre 2015 en 2021). De plus, le JT de la trois a, lui, clairement montré différentes illustrations d’actions et d’opérations de blocage réalisées ce jour-là, essentiellement à Paris. Même chose pour le talk-show de TMC «Quotidien», qui avait plus spécifiquement couvert le blocage d’un centre commercial au quartier de La Défense à Paris, jonglant entre les réactions de militants écologistes, de clients partagés et de patrons de magasins interloqués ou agacés.
S’il est possible d’apprécier que, pour cette dernière journée de protestation, la couverture médiatique de la mobilisation soit remontée à un niveau comparable à celle constatée lors de la première journée, nous pouvons, en revanche, déplorer qu’à aucun moment, ce jour-là, dans les programmes retenus, il n’ait été montré des images des marches pour le climat dans les autres pays, ni même été fait mention que les actions et opérations de blocage constatés en France se soient fait dans le cadre du mouvement «Fridays for future».
Au-delà de la médiatisation des journées de mobilisation, un impact non-négligeable de celles-ci sur la médiatisation de la thématique du climat
Si les grèves mondiales pour le climat ont été assez peu médiatisées en France, cette mobilisation paraît toutefois avoir eu davantage d’impact après coup sur la médiatisation dont peut faire l’objet la thématique du climat. En effet, jusqu’alors, cette couverture médiatique légère ou rare des sujets liés à l’environnement paraissait traduire un intérêt contrasté de la population à cet égard, dans le sens où une partie considérable de celle-ci avait plus ou moins conscience du problème du réchauffement climatique et de ses enjeux mais ne le prenaient pas suffisamment au sérieux pour le hisser au sommet de leurs priorités et de leurs préoccupations.
Dès lors que les grèves scolaires pour le climat se sont popularisées et démultipliées, la population a visiblement été davantage sensible au sujet de l’environnement, de même donc pour les médias. Ce constat s’est traduit par le fait qu’à la suite de cela, la publication des nouveaux rapports du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) a été scruté de près, les décisions du gouvernement en matière d’écologie ont fait l’objet d’une attention particulière… De plus, nul doute que sans l’écho international de l’appel de cette jeunesse sensible aux enjeux écologiques, les incendies massifs en Amazonie à l’été 2019 ou en Australie à l’automne 2019 n’auraient, entre autres, probablement pas bénéficié de la même couverture médiatique et donc eu le même retentissement.
Prendre au sérieux les enjeux écologiques, un objectif qui peine encore à être atteint à la télévision
Malgré tout, comme cela a été souligné précédemment, le plus important ne réside pas tant seulement dans le fait qu’une actualité ait été médiatisé ou non, mais aussi et surtout dans le traitement médiatique dont elle a fait l’objet. En l’occurrence, la couverture médiatique obtenue par les grèves mondiales pour le climat a été imparfaite, du fait du centrage quasi exclusif du traitement médiatique autour de l’ampleur de la mobilisation et pas particulièrement à propos des raisons de cette mobilisation. En cause certainement le manque de journalistes qualifiés pour traiter correctement les sujets liés à l’environnement. «Quand il s’agit de mener l’enquête sur l’impact environnemental, sur le traitement des eaux résiduelles, sur la perte de biodiversité ou sur le changement climatique, cela demande une étude afin de comprendre le sujet dont vous parlez. Le manque de journalistes spécialisés se répercute sur ce que montrent les médias.» résume Carla Castelo, une des rares journalistes spécialisées à la télévision portugaise, intervenant régulièrement pour la chaîne SIC (troisième chaîne télévisée portugaise). De même, comme l’explique le magazine «Café babel» dans un article paru en 2019, «Luís Ribeiro [journaliste portugais travaillant pour le magazine «Visáo»] constate également que moins il y a de journalistes spécialisés, moins la pression est mise, lors des conférences de rédaction, sur l’importance de traiter le dérèglement climatique. Il ajoute : ‘’puisque les réseaux médiatiques ont moins de moyens financiers, la priorité va à d’autres sujets. L’environnement n’est pas un sujet populaire comme la criminalité par exemple. Si vous voulez vendre, il faut être persuasif.». C’est ainsi, par exemple, qu’au lieu de voir des scientifiques et des experts climatiques développer le message que portent les manifestants, nous nous sommes retrouvés toute l’après-midi, le 21 septembre 2019, face à plusieurs chaînes d’informations en continu faisant défiler autour de la table des spécialistes du maintien de l’ordre ou des éditorialistes afin de commenter les perturbations provoquées par les casseurs infiltrés dans le cortège parisien de la marche pour le climat.
Là est l’un des principaux enseignements de cette médiatisation des enjeux écologiques à travers les grèves scolaires pour le climat : l’environnement est une thématique qui manque encore de crédibilité à la télévision, comme en témoigne la starification problématique de la jeune militante suédoise Greta Thunberg, devenue incontournable lorsqu’il s’agit de parler climat. En effet, comme pour tout mouvement de protestation, les médias ont besoin de suivre une figure de proue de celui-ci pour pouvoir l’incarner et cerner ses revendications. En l’occurrence, vouloir associer Greta Thunberg à l’incarnation de ce mouvement, en somme construire l’image d’une jeunesse qui se soucie de l’avenir à travers le soucis de la préservation de l’environnement, n’est pas un acte anodin mais pas particulièrement problématique en soi. Seulement, cela sous-entend surtout qu’une enfant a plus de crédibilité et de poids que des dizaines d’experts et de scientifiques qualifiés en la matière qui tentent depuis des années d’alarmer sur la situation climatique, ce qui est d’avantage problématique. De plus, cela fait la part belle à tous les climatosceptiques qui instrumentalisent Greta Thunberg en cherchant à décrédibiliser sa parole afin d’en faire de même pour ce qui est des valeurs qu’elle défend, c’est-à-dire la défense de l’environnement. Généralement, certains toutologues critiquent sa parole jugée «catastrophiste», «moralisatrice», «porteuse d’une idéologie d’essence totalitaire», faisant la promotion de «la tyrannie de l’émotion », tandis que d’autres préfèrent l’attaquer sur sa personne, qui serait «fanatisée», «hystérique», «manipulée». Mais certains éditorialistes n’hésitent pas à s’abaisser à quelques facilités, comme la critique de sa supposée immaturité, naïveté et inexpérience qui caractériseraient nécessairement sa jeunesse, voire à de la méchanceté gratuite, en l’attaquant sur son physique ou son autisme. De la sorte, comme l’explique Julia Tasse et Sofia Kabbej, chercheuse et assistante de recherche à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), dans un article datant de 2019, «incapables de construire un argumentaire convaincant qui puisse contredire la base scientifique du discours de Greta Thunberg, les détracteurs de la jeune fille préfèrent s’attarder sur le messagère. […] Cette facilité résulte bien souvent en l’analyse binaire (pour ou contre Greta Thunberg) du phénomène éminemment complexe qu’est le changement climatique.».
Si le chemin en faveur d’une parole plus largement accordée dans les médias aux climatologues reconnus s’annonce encore long et laborieux, la nécessité de traiter davantage d’environnement semble, néanmoins, avoir été saisi et pris en compte par plusieurs chaînes. En effet, depuis la médiatisation des grèves scolaires pour le climat, coïncidence ou non, de multiples émissions consacrées à l’environnement ont vu le jour. Chez France Télévisions, c’est le cas, entre autres, sur France 2 de «L’émission pour la terre» en octobre 2019 (prime évènement visant à promouvoir dix gestes à la portée de toutes et tous pour limiter notre impact sur l’environnement) ou encore de «Sur le front» depuis la rentrée 2019 (série de documentaires incarnée par le journaliste Hugo Clément et consacré à chaque fois à un grand sujet environnemental). De son côté, le groupe M6 a proposé une «semaine green» fin janvier-début février 2020, diffusant pour l’occasion une soixantaine d’heures de programmes d’information, de cinéma et de divertissement en lien avec l’environnement sur ses cinq chaînes télés et sa radio.
Et vous, que vous inspire la couverture médiatique des chaînes de télévision à l’égard des grèves scolaires pour le climat, et plus largement des sujets liés à l’environnement ?
Sources:
– Rémi Barroux, Audrey Garric, Jean-Pierre Stroobants et Thomas Wieder, Le Monde, «’’Je sèche et la planète aussi’’ : plus d’un million de jeunes manifestent pour le climat», 25 mai 2019. Article accessible en ligne : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/05/25/plus-d-un-million-de-jeunes-descendent-de-nouveau-dans-la-rue-pour-le-climat_5466978_3244.html
– John Bartlett, Matthew Taylor et Jonathan Watts, The Guardian, «Climate crisis : 6 million people join latest wave of global protests», 27 septembre 2019. Article accessible en ligne : https://www.theguardian.com/environment/2019/sep/27/climate-crisis-6-million-people-join-latest-wave-of-worldwide-protests
– Matilde Coelho da Silva, Jessica Devergnies-Wastraete, Café babel, «L’environnement : absent des médias portugais», 17 juin 2019. Article accessible en ligne : https://cafebabel.com/fr/article/lenvironnement-absent-des-medias-portugais-5cffb384f723b378db81747b/
– Pierre Dezereaud, Puremédias, «Chaînes infos : Quand les éditorialistes se déchaînent contre Greta Thunberg», 24 septembre 2019. Article accessible en ligne : https://www.ozap.com/actu/chaines-info-quand-les-editorialistes-se-dechainent-contre-greta-thunberg/583826
– FridaysForFuture, «Statistics/List-countries». Page accessible en ligne : https://fridaysforfuture.org/statistics/list-countries
– Benjamin Meffre, Puremédias, «’’L’émission pour la Terre’’ : France Télé donne ce soir le coup d’envoi de sa programmation dédiée à l’Environnement », 15 octobre 2019. Article accessible en ligne : https://www.ozap.com/actu/-l-emission-pour-la-terre-france-tele-donne-ce-soir-le-coup-d-envoi-de-sa-programmation-dediee-a-l-environnement/584582
– Anne-Catherine Husson-Traore, Novethic, «Manif climat et médias : le message d’urgence climatique brouillé par les casseurs», 22 septembre 2019. Article accessible en ligne : https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/manif-climat-et-medias-le-message-d-urgence-climatique-brouille-par-les-casseurs-147726.html
– Le Monde, «’’Le niveau des océans monte, notre colère aussi’’ : une grève mondiale historique pour le climat», 20 septembre 2019. Article accessible en ligne : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/20/de-sydney-a-new-york-une-greve-mondiale-pour-le-climat_6012387_3244.html
– M6 publicité, «Le groupe M6 lance la semaine green», 7 janvier 2020. Dossier de presse accessible en ligne : https://m6pub.fr/le-groupe-m6-lance-la-semaine-green/
– Julia Tasse, Sofia Kabbej, IRIS, «La mobilisation de la jeunesse pour le climat en France (2/3) : Entre ombre et lumière, quel rôle pour les médias ?», novembre 2019. Etude accessible en ligne : https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2019/11/Obs-Climat-12.pdf
– Emilie Torgemen, Le Parisien, «Grève pour le climat : 14 800 manifestants à Paris, 119 pays mobilisés», 24 mai 2019. Article accessible en ligne : http://www.leparisien.fr/societe/greve-pour-le-climat-14-800-manifestants-a-paris-119-pays-mobilises-24-05-2019-8079252.php
– Wikipédia, «Grève étudiante pour le climat» [page consultée le 14 avril 2020 ; dernière modification de la page le 11 avril 2020]. Page accessible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gr%C3%A8ve_%C3%A9tudiante_pour_le_climat#Mobilisation_internationale_du_20_septembre_2019
– Youth for climate France, «Compte des personnes mobilisées lors des grèves pour le climat en France. Page accessible en ligne : https://youthforclimate.fr/force-des-greves-pour-le-climat/