Catégories
Actions Motions

Les sociabilités pendant le confinement : être ou ne pas être connecté.es

Depuis le début du confinement, alors que la population est enfermée et isolée, la fréquentation des réseaux sociaux explose. Les besoins de se divertir et de garder le contact avec notre entourage expliquent ce phénomène. Les réseaux sociaux dont la vocation a toujours été de pouvoir réunir et faire se rencontrer les gens à distance, n’a jamais pris autant son sens. Mais alors comment s’exprime le lien social en confinement en France à travers les réseaux sociaux ?

Lorsque la distanciation sociale rapproche plus qu’elle n’éloigne

Due à la vitesse de propagation du virus, la première mesure mise en oeuvre fut celle de la distanciation sociale par le confinement. Celle-ci a bouleversé notre quotidien et surtout nos rapports humains. En effet, établir un contact avec d’autres personnes étant dangereux, notre seul moyen de communication reste les écrans et les réseaux sociaux. Ce rassemblement a par ailleurs créé un mouvement de créativité visant à combler le temps libre. Les réseaux sociaux vont permettre de partager cette créativité, ainsi que les “oeuvres” réalisées. On remarque la diffusion de différents challenges sous forme de vidéos TikTok, photos Instagram, memes sur Twitter, stories participatives et nominant d’autres personnes pour créer une chaîne sans fin. Mais également l’apparition et le téléchargement d’applications conviviales telles que House Party, Plato, ou encore d’extension comme Netflix Party.

Durant le confinement, diverses tendances sont apparues, et notre contact aux autres a été bouleversé. En effet, sur Instagram, les captures d’écran de visioconférence remplace les photos de groupe en extérieur. Les challenges et chaînes que l’on voyait auparavant sur Facebook sont remis au goût du jour, et permettent de partager tout en s’occupant. On voit par exemple des challenges consistant à faire rebondir le plus de fois un rouleau de papier toilette sur le pied, afin de tourner au ridicule cet objet fortement convoité dans les supermarchés à cause du confinement. La situation est également prise sur le ton de l’humour grâce à différents memes et podcasts sur le sujet. On cherche à rester positif face à la situation incertaine et frustrante, en prônant la productivité, la créativité et le partage comme solution miracle. Différents hashtags sont par ailleurs créés afin de motiver et réunir les productions artistiques et créatives (#créateursconfinés, #lockdown, #confinementcréatif).

TikTok est d’ailleurs devenue l’application phare de ce confinement. Polyvalente, celle-ci permet de faire des ​lives (comme sur Instagram), des vidéos humoristiques, de danses, pouvant reprendre et partager toutes les nouvelles tendances. Même si l’utilisation des réseaux sociaux est en hausse globale, c’est TikTok qui bat tous les records avec 65 millions de téléchargements durant le mois de mars. L’application au contenu léger plaît durant le confinement, car n’importe qui peut l’utiliser et alimenter la plateforme. Il n’existe en effet pas de code strict comme on peut le voir sur Instagram où il faut s’exposer en voyage, respecter un feed, etc. Mais malgré tout, la recherche de l‘originalité est importante pour les utilisateurs et utilisatrices de la plateforme, et surtout pour les influenceur.euses pour qui les réseaux sociaux (en général) sont leur environnement de travail.

Dans ce mouvement de partage, la recherche de l’originalité et de la créativité est en effet au centre de l’attention. Les influenceur.euses doivent se démarquer des autres, et créer du contenu divertissant, tout en étant confiné.es comme le reste des français.es. Le but étant pour eux et elles de rester actifs et actives pour survivre sur la toile, en conservant leur nombre d’abonné.es ainsi que leur nombre de “j’aime”. Pour ces influenceur.euses qui ont l’habitude de poster leur photos de voyage, ou les différents évènements auxquels iels sont invité.es, les temps sont durs. En effet, chacun.e tente de se réinventer, iels développent un nouveau feed instagram, deviennent des TikTokers afin de suivre la tendance, et tout est bon pour se montrer afin d’être vu.e pour ne pas être oublié.e.

La productivité est donc le mot d’ordre de ce confinement ! Il faut être productif.ve, créatif.ve et surtout original.e, afin de perdurer ! Les réseaux sociaux ont leurs bons côtés (créativité, partage, apprentissage…), mais également leur mauvais puisque l’on observe différents points négatifs tels que la frustration et la pression.

Wendy Amd

La dangerosité des réseaux sociaux décuplée

La présence accrue de la population Française sur les réseaux sociaux entraîne également des conséquences négatives sur le lien social. En effet, en cette période trouble où chaque individu doit affronter seul.e ses angoisses, les réseaux sociaux peuvent devenir une plateforme anxiogène et de désinformation dangereuse. Tout d’abord la diffusion de fausses informations ou de scoops aguicheurs écrit par de « faux et fausses expert.es » qui prétendent avoir trouvé un remède ou une façon de se protéger contre le Covid-19 à entraîner beaucoup d’automédications ou d’empoissonnement menant précipitamment de nombreuses personnes à la mort.

Parmi les autres informations qui ont beaucoup circulé on retrouve les fameuses théories du complot telles que : « le coronavirus aurait été créé par l’État (Français, Chinois, Américain) pour faire diminuer la population mondiale ou pour vendre plus de vaccins » ou encore « la 5G serait responsable de la pandémie ». La présence accrue des Français.es sur les réseaux sociaux, augmente la vitesse de diffusion de ces informations et leur permet de s’immiscer plus facilement dans la tête de tous ceux et celles qui ont peur. Ces théories ne font qu’ajouter plus d’huile sur le feu sur cette situation anxiogène.

Comme on le sait, la peur entraîne des comportements irrationnels ainsi que le renfermement sur soi-même ou sur sa communauté. Sont nées alors de ce climat de peur des inquiétudes sur la possibilité d’être contaminé.e par des produits provenant de Chine, entraînant ainsi une méfiance vis-à-vis des restaurants chinois, des produits typiquement chinois et même l’exclusion des personnes d’origine asiatique. Ce racisme contextuel contribue aux difficultés financières de certaines enseignes ainsi qu’à la discrimination de la communauté asiatique.

Ce renfermement sur soi-même s’exprime aussi par l’égoïsme flagrant de toutes les personnes qui ont dévalisé magasins et pharmacies quelques jours avant le confinement. Ce comportement extrême, doit encore son origine aux réseaux sociaux. En effet, peu avant la crise, ce sont sur ces réseaux qu’on était diffusé les premières images de rayons de pâtes, de papiers toilettes et de conserves dévalisés. Cette situation a tout de la prophétie auto-réalisatrice : la population ayant peur de la pénurie à cause de la diffusion de ces images, se jettent dans les magasins pour faire des réserves provoquant ainsi la pénurie et entretenant la peur et ce comportement d’accumulation.

S’ajoute à cela, la litanie des médias télévisuels. Ceux-ci répètent sans cesse de porter un masque et de se laver les mains, ils informent du nombre de décès et relayent les termes employés par le président lui-même évoquant « la guerre », « le monde d’avant », « le monde d’après ». Ce matraquage entraîne un comportement de paranoïa, la peur de l’autre dans la rue et les commerces qui mène à créer des stratégies d’évitement du contact social quel qu’il soit. Cette division de la population se ressent aussi sur les réseaux sociaux, sur lesquelles tout le monde y va de son commentaire pour critiquer le comportement des autres, les pointant du doigt et les désignant comme de « mauvais citoyens » car il ne respecte pas toutes les directives.

On remarque d’ailleurs une recrudescence de l’agressivité sur les réseaux sociaux. Ne pouvant pas sortir, ni côtoyer du monde, les gens se retranchent dans le virtuel, déjà connu pour être sans pitié. Ne vivant qu’à travers les réseaux, l’agressivité des agresseur.euses et le sentiment d’isolement des agressé.es sont amplifiés.

Ce harcèlement moral plus ou moins direct, peut prendre la forme d’une incitation à la productivité pendant le confinement. On entend beaucoup que le confinement est le bon moment pour faire des choses que l’on n’avait pas le temps de faire dans la vie de tous les jours : comme lire, faire de la musique, apprendre une nouvelle langue, faire du tri, du ménage, cuisiner ou faire du sport. Mais également que cette période serait difficile pour les femmes puisque celles-ci sont privées d’instituts, de coiffeurs et risque de prendre du poids par manque d’activités physiques. Cette pression sur la productivité et sur le corps est d’ailleurs dénoncée par de nombreuses personnes qui mettent en avant l’exclusivité de la situation et au vu du stress entraîné par la situation sanitaire, au contraire il est normal de se laisser aller à la paresse, l’oisiveté et de ne pas prendre soin de son physique. Que cela peut également être une manière de traverser cette épreuve, de prendre soin de soi.

Cette peur du changement des habitudes pendant le confinement s’exprime enfin par la fréquence croissante de la consommation d’alcool en France. Privé.es de relation sociale, les français.es ont multipliés les E-apéro ou même les apéros IRL et cela soulève des inquiétudes quant à la préservation de ses habitudes post-confinement qui pourrait mener à de l’alcoolisme.

La situation inédite dans laquelle a été plongée la France a mis en exergue les possibilités qu’offrent les réseaux et les conséquences de ceux-ci. Là où certain.es y ont trouvé un refuge, un espace de créativité et de connexion sociale, d’autres ont préféré les éviter ou en diminuer leurs utilisations pour rompre le cercle vicieux de l’anxiété et se recentrer sur soi. Cependant, dans un contexte comme celui-ci il est aussi important de rendre compte des inégalités de moyens et de connectivité qui sévissent encore en France.

Nina Basset

Inégalités économiques, sociales, matérielles et géographiques dues au confinement

La crise sanitaire du Covid-19 a causé le confinement des français.es dans l’objectif de minimiser la propagation du virus. L’obligation de rester chez soi, pour une période indéterminée, transforme temporairement notre contexte de vie et donc notre manière de vivre. Les problématiques liées au confinement a pu creuser de fortes inégalités économiques, sociales, géographiques mais également numériques entre les individus.

Tout d’abord, les inégalités peuvent être spatiale : elles s’étendent à l’habitat des individus. En effet, les conséquences physiques et psychologiques entre, d’une part, ceux et celles qui vivent en campagne donc généralement dans une maison avec jardin et, d’autre part, ceux et celles qui vivent en ville dans un appartement ou studio, sont différentes. Le ou la citadin.e aura plus tendance à subir le confinement contrairement aux autres en milieu rural qui se sentiront « ressourcé.es » pour la plupart. Ces inégalités peuvent s’expliquer par des différences initiales de revenus entre les classes supérieures et les classes populaires. Aujourd’hui, les inégalités des individus confiné.es quant aux conditions de vie dans leur logement, tirent leur origines bien avant la crise sanitaire. Ces disparités résultent des inégalités d’acquisition d’un bien immobilier plus confortable (vastité, jardin, balcon, etc.) en fonction des revenus. En effet, les inégalités liées aux revenus des français.es sont fortement perceptibles aujourd’hui. Leur revenus se voient perturber par l’arrêt temporaire de leur travail, surtout quand celui-ci peut mener à un licenciement ou une liquidation judiciaire comme cela pourrait être le cas dans les secteur de la restauration ou du prêt-à-porter indépendant. Le chômage partiel mis en place et, par extension, le salaire à hauteur de 84 % pris en charge par l’État, dévoilent des inégalités de revenus avec ceux et celles qui travaillent toujours par télé-travail qui reçoivent la totalité de leur salaire. En effet, en prenant pour référence le SMIC net par mois en 2020 qui est de 1219 €, on s’aperçoit que l’instauration du chômage partiel provoque un déficit de 195,04 €, ce qui constitue une perte considérable pour le foyer. Pour certain.es, il leur est impossible de payer leur loyer ou des factures énergétiques, d’autant plus que la présence permanente et obligatoire chez soi nécessite un budget alimentaire nettement plus élevé.

En ces temps, l’accès à la nourriture est problématique. Les déplacements étant limités, il est recommandé de manger local, d’éviter les hypermarchés. Cependant, manger local nécessite une aisance financière car le coût est plus élevé. En ville, il n’y a pas d’autres choix que de faire ses courses dans les chaînes de distribution très fréquentées ou alors dans les épiceries où les files d’attentes sont interminables. En ce qui concerne les restrictions budgétaires, rester chez soi amène à se nourrir plus souvent (pas de Restaurant Universitaire, tickets resto, etc.) donc cela pose des problèmes économiques mais aussi de santé. Par exemple, il est très compliqué de diversifier ses aliments ce qui peut, à terme, poser des problèmes de santé (carence alimentaire, obésité, etc.). En effet, selon un sondage IFOP, les français.es ont pris en moyenne 2,5 kg durant le confinement à cause du grignotage, de l’anxiété ou encore de la baisse de l’activité physique.

Enfin, la question de l’accès au numérique est primordiale durant le confinement. La distanciation mise en place ne permet pas le contact physique et donc les télé-communications sont ce qui crée le lien social entre les individus. Premièrement, on peut mentionner l’inégalité de l’accès au numérique par des contextes géographiques différents. En effet, les personnes habitant en milieu rural ont une couverture réseau beaucoup moins efficace qu’en ville. Beaucoup d’étudiant.es sont rentré.es dans leur demeure principale (chez leur parents) où la connexion Internet est mauvaise (ou aléatoire) et ne permet pas une réalisation optimale des travaux universitaires. De plus, l’accès à la culture se fait essentiellement via le numérique lors du confinement, ceux qui ont accès à Internet, à la télévision (ou à une multitude de livres) peuvent prendre un avantage injuste face à ceux qui n’y ont pas accès ou alors difficilement. En ce qui concerne la continuité pédagogique pour les élèves et les étudiant.es, nombreux et nombreuses sont les professeur.es qui donnent cours par le medium des plateformes de visioconférence et qui peuvent demander un suivi de leur travail par mail, par extension, via Internet. Cependant, les élèves et étudiant.es n’ont ni, forcément, un accès fiable à Internet, ni le matériel requis et adapté (pas d’ordinateurs, d’imprimantes, de box internet), ni les compétences requises pour permettre à l’élève et à l’étudiant.e une continuité pédagogique efficace et apprenante. Par exemple, la mère d’une étudiante à l’Université de Lille est professeure dans le secondaire et travaille dans un milieu défavorisé et populaire. Certains de ses élèves ne possèdent ni ordinateur, ni accès Internet. De ce fait, afin d’appliquer cette continuité pédagogique, la professeure se devait de réaliser un programme différent des élèves ayant accès à Internet puis de leur envoyer par courrier. De ce fait, au-delà du métier de professeure, elle s’est improvisée factrice (à cause de la crise sanitaire, le facteur ne passait que 3 jours par semaine) et ces élèves concerné.es par les inégalités d’accès à Internet voyaient leur travaux décalés d’une semaine contrairement aux autres. De plus, la communication avec l’école est compliquée pour les parents qui ne possèdent pas la matériel numérique requis, ils ne peuvent pas assurer une bonne continuité pédagogique à leur enfants mais également être tenu informés des directives de l’école. Ainsi, les inégalités se creusaient entre les élèves. Déjà que réaliser une année scolaire sans matériel informatique ni connexion Internet représentent un obstacle dans notre société actuelle, la mise en place du télé- travail, à cause du confinement, n’a fait qu’accroitre ces inégalités entre élèves quant à leur capacité à réussir leur année scolaire.

Par conséquent, la situation de confinement est créatrice d’inégalités à travers de nombreux secteurs comme le logement, l’alimentaire, la santé ou l’éducation. La contrainte des français.es à rester confiné.es chez soi, c’est-à-dire en un lieu fixe avec pour chacun.e des contextes géographiques différents, produit des inégalités quant à l’accessibilité financière, sanitaire et numérique. Ainsi, le confinement met en lumière la question de la justice spatiale qui semble prendre beaucoup d’importance en cette période de crise sanitaire, d’isolement et de distanciation sociale. Les secteurs du logement, de la santé et de l’éducation ont toujours été vecteurs d’injustice spatiale comme l’explique le géographe Jacques Lévy dans son ouvrage majeur “​Réinventer la France”​ paru en 2013. La situation actuelle qu’est le confinement, soit la répartition et la fixité de cette population sur le territoire français, produit et accentue les inégalités abordées ici (également avancées par Jacques Lévy) puis, elle permet, surtout, d’illustrer cette question de justice spatiale qui manque de considération au sein de notre pays.

Thomas Buchwald

Article par Amd Wendy, Basset Nina et Buchwald Thomas

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *