Depuis le 23 mars dernier, tous les matins sur France Inter, Augustin Trapenard lit des lettres qu’un.e écrivain.e lui a confiée. Le 4 mai, ce sont les mots de l’écrivain Michel Houellebecq que j’écoute. Sa lettre s’intitule “Je ne crois pas aux déclarations du genre, “rien ne sera plus jamais comme avant””. Pour Houellebecq, le coronavirus ne transformera pas notre monde, ni en bien ni en mal. Il ne fait qu’accélérer les mutations déjà bien en cours. Comme l’explique le géographe Guillaume Faburel dans un entretien intitulé “La métropolisation du monde est une cause de la pandémie”, publié par Reporterre fin mars, nous sommes de plus en plus soumis à “[…] des modes de vie uniformisés et dépendants des dispositifs technico-économiques et urbanistiques”. Selon Houellebecq, depuis un certain temps les évolutions technologiques ont eu pour conséquences de diminuer les contacts matériels et humains et cette épidémie ne fait qu’aller dans le sens de cette tendance. L’écrivain met également en lumière le talent de nos sociétés à cacher la mort et encore une fois, l’épidémie de coronavirus n’a fait qu’accentuer cette facilité à dissimuler la vie qui habitait ces corps touchés tragiquement par le virus.
Pourtant, d’autres discours plus optimistes s’affirment au milieu de ce capharnaüm d’opinions. Dans un article publié sur AOC – acronyme pour Analyse d’Opinion Critique – Bruno Latour, sociologue, anthropologue et philosophe des sciences, propose une manière d’imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise”. Du grec crisis qui signifie “nécessité de discerner et de faire un choix”, en chinois le mot crise se traduit par l’association de deux notions à savoir, “danger” et “opportunité”. Alors il semble logique de s’interroger à la cause de cette crise sanitaire et d’imaginer un changement pour éviter qu’elle ne se reproduise. Rien n’est affirmé mais le commerce d’animaux sauvages ou en tout cas, le recul de leurs territoires en raison d’extraction, de déforestation etc… et donc les probabilités pour nous de rencontrer un animal malade, nos modes de vie métropolitains et les phénomènes de globalisation, sont grandement susceptibles d’être à l’origine de cette épidémie. Latour met alors en lumière la “facilité” que nous avons eu à mettre sur pause le système de production et invite à réfléchir à des gestes barrières, non pas contre le virus mais contre ce système de production capitaliste et polluant duquel nous dépendons actuellement. Faire l’inventaire de ces activités qui selon nous devraient s’arrêter ou au contraire reprendre nous permettrait de devenir des interrupteur.ice.s de globalisation.
« Seconde vigilance, d’autres contaminations sont à craindre : il s’agirait de commencer à déconstruire des comportements métropolitains tels que la mobilité permanente et l’accélération sans fin des mouvements, le divertissement ininterrompu et le nomadisme généralisé, la connectivité continue et les corps prétendument augmentés » Marie Astier.
Ailleurs, sur YouTube, Camille et Illiès m’ont tenu compagnie pendant le confinement. Je vivais alors les rencontres physiques et l’extérieur grâce aux vidéos de ces deux YouTubeur.euse.s qui sur leur chaîne “Les artisans de demain”, partagent leurs aventures à bord de “la vieille baleine”. Depuis trois ans, iels ont traversé l’Afrique pour rejoindre l’Asie. Le but de leur voyage étant de rencontrer des personnes inspirantes qui œuvrent pour un monde meilleur, plus soucieux de l’environnement. Ce matin encore, je regardais leur dernière vidéo, tournée en France et dans laquelle iels répondent aux questions de leur abonné.e.s. A la fin, Camille nous parle d’une philosophie qu’elle et Illiès ont appris en Afrique du Sud, l’Ubuntu, “je suis parce que nous sommes tous”. Nous ne sommes rien sans les autres et le seul moyen de faire fonctionner les choses repose sur une vie en communauté, faite de solidarités et de partages.
Aujourd’hui, Camille et Illiès se disent moins pessimistes. Alors pourquoi de mon côté, je n’arrive plus à imaginer que le monde ira mieux ? Pourquoi les mots de Houellebecq raisonnent en moi ? Comment suivre cette philosophie Sud -Africaine alors qu’aujourd’hui le contact, les rencontres me semblent impossibles ? Mais surtout, pourquoi dans ma tête, le confinement a-t-il fait de l’extérieur et des autres un danger ? Il y a deux mois, je n’avais aucune appréhension, pourtant le virus était là comme il l’est aujourd’hui. Aujourd’hui je ne sais plus rien, je n’arrive plus à vivre dans le présent parce qu’il me semble illusoire. L’extérieur n’a comme jamais existé, j’ai peur de devoir ressortir mais surtout je n’accepte pas ce qu’il est en train de se passer. Pourtant je m’y été préparé. Je n’accepte pas ce qu’il est en train de se passer parce que tout n’est que contradiction et qu’autour de moi trop de personnes nient ce qu’il se passe et surtout refusent de faire des concessions, refusent de se limiter et de réfléchir comme Bruno Latour nous le propose, à ces activités qu’il faudrait arrêter et celles qu’il faudrait privilégier. Pourquoi parler d’espoir alors qu’après des mois d’informations en continue au sujet de la crise écologique, du danger qui nous rattrape, des mobilisations contre le faussé des inégalités sociales qui se creusent de jours en jours et aujourd’hui, cette pandémie qui ne fait que résumer toutes les failles de nos modes de vie, on me répond encore “si on commence à réfléchir à tout ça on ne vit plus.” ?
Pourtant je sais qu’il va falloir que je sorte de cette spirale, que je sorte de cette bulle hors du temps. Il va falloir que j’apprenne la résilience.
ASTIER, M. (2020). “La métropolisation du monde est une cause de la pandémie”. Reporterre. [en ligne]. disponible à l’adresse :
https://reporterre.net/La-metropolisation-du-monde-est-une-cause-de-la-pandemie [consulté le 17 mai 2020].
HOUELLEBECQ, M. (2020). “Je ne crois pas aux déclarations du genre “rien ne sera plus jamais comme avant””. France Inter. [en ligne]. disponible à l’adresse : https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-04-mai-2020 [consulté le 17 mai 2020].
LATOUR, B. (2020). “Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise”. AOC. [en ligne] disponible sous abonnement à l’adresse :
https://aoc.media/opinion/2020/03/29/imaginer-les-gestes-barrieres-contre-le-retour-a-la-production-davant-crise/ [consulté le 17 mai 2020].