Catégories
Actions Affiches Mobilisé.es

Le collage féministe : entre dénonciation et réappropriation de l’espace public

« On ne tue pas par amour », « On ne naît pas femme mais on en meurt » « Le sexisme est partout ». Vous les avez probablement rencontré quelque part, ces messages féministes. Des lettres noirs sur fond blanc. Pas de fioritures, juste des mots qui interpellent.

Dans plusieurs villes de France, dans la pénombre de la nuit, des groupes se forment. Sceaux de colle et feuilles à la main, des femmes arpentent les rues en quête d’un nouveau spot où afficher leurs messages.

Instagram Collages_féminicides_Paris

Quand, comment, pourquoi ?

Le mouvement né le 30 août 2019, lorsque Marguerite Stern, une ancienne Femen, lance un appel sur Instagram pour coller des messages dans les rues parisiennes pour « ne plus compter nos mortes » et pour obtenir des mesures concrètes de la part du gouvernement. Quarante femmes participent à ce premier collage, le mouvement s’est depuis démultiplié et étendu à toute la France.

La charte graphique reste la même : des feuilles blanches A4, alignées, et des lettres peintes en noir. Chacun doit respecter ces règles, pour que l’impact collectif ne soit pas divisé.

Les messages prennent la forme de slogans, ou décrivent rapidement les circonstances de féminicides : « Céline, défenestrée par son mari, 19e féminicide ».

Le but de ses collages est de rendre visible les féminicides, sans passer par les médias traditionnels qui ne s’emparent pas toujours du sujet. En affichant ces messages dans la rue, le but est d’attirer le regard des passants, qui se retrouvent dans l’obligation de les voir, le regard étant attiré malgré lui.

Les femmes et l’espace public

Choisir la rue n’est pas anodin. Au-delà de la visibilité que cela apporte, on retrouve également l’idée de la réappropriation par les femmes de l’espace public, encore majoritairement masculin.

La vision de la ville appréhendée comme un danger ne date pas d’hier. Les manuels de savoir-vivre du XIXème siècle recommandaient aux jeunes femmes d’être prudentes dans la rue et d’adopter une certaine attitude : prudence, discrétion, compagnie d’un homme. La rue est déjà vue comme un danger, et malgré l’émancipation des femmes, la rue reste un espace de domination masculine. En témoigne les noms des rues. Seulement 2% des rues françaises portent le nom d’une femme. Le 8 mars 2019, à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, l’association Nous Toutes a apposé des affiches imitant les plaques des rues, avec des noms féminins.

Le fait que ces collages se fassent dans la rue véhiculent également un message fort. Les féminicides, longtemps réduits à la sphère privée et à des crimes passionnels, s’affichent désormais dans l’espace public. C’est le signe que les féminicides sont belle et bien des problématiques de société, qui ne se cantonnent plus à l’espace domestique de la maison ou du couple.

Instagram Collages_féminicides_Paris

D’Olympe de Gouges à Mai 68, les affiches au cœur de la contestation

Pendant la révolution française, Olympe de Gouges, pionnière du féminisme, utilisait déjà des affiches pour diffuser ses idées. À l’époque, les affiches à fond blanc étaient réservées au pouvoir royal. Les affiches d’Olympes de Gouges étaient donc colorées. Le fond blanc utilisé aujourd’hui par les colleuses renvoie donc un message de contestation du pouvoir.

En Mai 68, l’effervescence se lit aussi sur les murs. Les affiches sont réalisées par les étudiants, avec des moyens simples et peu onéreux. Le but n’est pas de faire durer les affiches, mais de faire passer le message le plus rapidement possible, avec les moyens du bord. On retrouve ces idées chez les colleuses féministes, le but étant d’interpeller vite sur la situation, afin de faire changer les choses.

Les collages féministes et anti-féminicides s’inscrivent dans un ensemble d’actions de lutte contre le patriarcat et les violences faites aux femmes. En France comme ailleurs, les voix se lèvent. Au Chili, un hymne et une chorégraphie ont été créés et repris partout dans le monde ; en Inde, en Afrique du Sud et dans dizaines d’autres pays, des manifestations rassemblant des milliers de personnes ont lieu.

En 2019, plus de 50 000 femmes ont été tuées dans le monde par un partenaire intime.