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Crise sanitaire: les derniers sont devenus les premiers.

En 2018, lors de la présentation de son plan pour lutter contre la pauvreté, le président Emmanuel Macron avait demandé aux “premiers de cordée de ne pas oublier les derniers”. Un an plus tard, son gouvernement révélait les grandes lignes de la nouvelle réforme des retraites, tant attendue depuis l’élection de 2017. Mais si sur le papier cette réforme promet d’être “plus simple, plus juste”, les français sont très vite descendus dans la rue pour montrer qu’il n’en est rien. Et aujourd’hui, la pandémie leur donne raison.

Un système universel et juste ? 

Alors que la réforme des retraites se veut universelle, tout le monde n’est pas  concerné de la même manière par celle-ci. Elle réduit les avantages que certains avaient jusqu’alors et touche particulièrement les cotisants des régimes spéciaux. Pour ce qui est des cheminots ou des travailleurs la RATP, le départ ne s’effectuera plus à 52 ou 57 ans, mais à 64 ans pour une retraite à taux plein. De même, la pension sera calculée sur l’ensemble de la carrière et non plus uniquement par rapport aux six derniers mois, ce qui entraîne sa baisse d’entre 20 et 25%. La question de la pénibilité est par ailleurs trop peu évoquée selon les organisations syndicales. Les enseignants-chercheurs sont également concernés par cette question de baisse du niveau de la pension. Les avocats, eux, voient leur cotisation doublé en passant de 14 à 28% alors que leurs pensions baissent de 30%. Enfin, pour terminer cette liste non-exhaustive, les infirmiers, les aides soignants, voient également leurs cotisations augmenter. Pour démontrer leurs mécontentements, ils descendent dans la rue dès le 5 décembre 2019.

Mobilisation contre la réforme des retraites : les syndicats ...
Pendant la manifestation contre la réforme des retraites, à Marseille, le 5 décembre 2019.• Crédits : CLEMENT MAHOUDEAU – AFP

 

Le 16 mars, le président a annoncé la suspension de toutes les réformes en cours afin de concentrer les efforts sur “la guerre sanitaire”. Début avril, le Premier ministre a souligné l’importance d’une union nationale, d’éviter les sujets à désaccords entre les différents acteurs politiques. D’aucuns s’accordent à dire que cette situation pourrait conduire la réforme au cercueil, avant même qu’elle n’ait véritablement vu le jour.  Depuis, la pandémie a révélé aux yeux du grand public l’état miteux dans lequel se trouvent les urgences et hôpitaux français. Et ce, malgré le fait que les soignants et personnels d’hôpitaux tirent la sonnette d’alarme depuis plus d’un an. Si effectivement la réforme est abandonnée au terme de cette période de crise, le coronavirus aura réussi là où les manifestants auront échoué.

La pandémie met la lumière sur les plus précaires

Aujourd’hui, l’Etat français n’a jamais autant eu besoin de ces “derniers de cordée”, ces soignants, caissiers, agents d’entretien et autres professions indispensables pour que le pays continue de tourner. Bien souvent occupés par des femmes (9 femmes sur 10 chez les caissiers et chez les soignants), ces postes sont emprunts d’une grande précarité et ne permettent d’accéder qu’à une pension retraite inadaptée, qui plus est en moyenne 42% inférieure à celle de leurs homologues masculins. Ces métiers et secteurs, déjà en grande souffrance, ont dû faire face à la pandémie avec les moyens du bords (c’est-à-dire, de qualité inadéquate et en quantité insuffisante), risquant leur vie. 

Mais c’est au prix de ces prises de risques (beaucoup n’avaient en plus pas le choix que de continuer à travailler, faute d’accès au chômage partiel), que le gouvernement a pris conscience du chemin qu’il restait à parcourir. Ce dernier a annoncé à la fois des mesures mais aussi des dispositifs spécifiques pour ces personnels mobilisées. Le Premier ministre et le ministre de la Santé Olivier Véran ont donc annoncé le versement de primes “nettes de tout” (rien ne sera retiré pour les impôts ou les charges) dans plusieurs secteurs. D’abord la fonction publique hospitalière, les primes iront de 500 euros à 1 500 euros pour les soignants des zones les plus touchées par le virus. De plus, chaque soignant verra ses heures supplémentaires majorées de 50%. En ce qui concerne les foyers les plus précaires, le président avait annoncé la mise en place d’une “aide exceptionnelle” à hauteur de 150€ par foyer, auxquels s’ajoutent 100€ par enfant à charge. Du côté des salariés de la grande distribution en revanche, si dès le 20 mars, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire avait appelé les employeurs à verser une prime de 1 000€ à leurs salariés, dans les faits, le montant n’est pas toujours celui préconisé. Les syndicats ont particulièrement pointé du doigt les entreprises qui ont versé des primes au prorata des heures travaillées par les employés. L’Etat, par l’assouplissement des conditions de versement de la “prime Macron” (mise en place pendant la crise des Gilets Jaunes), tente quant à lui de sauver les meubles pour les professions sur lesquelles il ne peut influer directement.

L’hypocrisie de la célébration du personnel hospitalier 

Coronavirus : ces gestes de solidarité qui font chaud au cœur dans ...
© AFP – Crédit Patxi Beltzaiz / Hans Lucas

Là où le gouvernement peine à réagir de manière adéquate pour répondre à la crise, la population française, elle, se rend compte que les personnes travaillant à l’hôpital mais également les caissiers par exemple, sont très investis et risquent beaucoup durant cette crise. Ainsi, les opérations de soutien se multiplient. Chaque soir, des milliers de Français applaudissent à leurs fenêtres pour remercier le personnel hospitalier. Néanmoins, selon un sondage publié par Harris Interactive, mi-avril, 59% des Français n’ont jamais applaudi à leurs fenêtres. En effet, si l’intention est louable, beaucoup y voient une forme d’hypocrisie alors que ce même personnel soignant est ignoré depuis plusieurs années. Très tôt, durant la crise, un appel à la solidarité est lancé avec l’AP-HP pour venir en aide aux soignants qui n’ont pas les moyens nécessaires pour s’occuper des malades et aux chercheurs qui travaillent à un vaccin contre l’épidémie. Les fonds récoltés permettent notamment d’acheter du matériel médical et d’aider les soignants dans leur vie quotidienne, alors que l’hôpital français étant public, c’est une tâche qui revient normalement à l’Etat. Autre action de solidarité encouragée par le gouvernement : le don de congés payés aux personnels soignants sous forme de congés ou de chèques-vacances. Or, beaucoup de soignants s’y opposent. Si une nouvelle fois, le geste est généreux, le personnel hospitalier explique ne pas vouloir de chèques mais “de l’argent et des embauches”. 

Avec la crise sanitaire due au SARS-CoV-2, les délaissés de la réforme des retraites d’hier sont devenus les héros d’aujourd’hui. La question est dorénavant de savoir s’ils ne seront pas oubliés demain, et sur le long terme.

Emeline Voisin et Agathe Lévêque